« Au cas où »

Récemment, je suis (re)tombé sur le tweet suivant :

Over the past couple years I've gotten much more sensitive to the cost of speculative generality. So many bugs could have been avoided by just solving the problem at hand instead of trying to solve a ton of potential future problems.

Traduction Française personnelle :

Au cours des dernières années, je suis devenu très sensible au coût de la généralité spéculative. Tant de bugs pourraient être évités en résolvant le vrai problème au lieu d'essayer de résoudre de futurs potentiels problèmes.

Au fil des années, j'ai fait le même constat au point que maintenant dès que j'entends j'ai choisi cette approche au cas où… ou une tournure équivalente j'ai l'oreille qui se dresse et sans doute une légère augmentation de ma tension artérielle 😀. À mon avis, au cas où est la pire des justifications pour écrire un bout de code. Le travail de développeur·se est déjà suffisamment compliqué, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de rajouter de l'incertitude ni la nécessité de prévoir l'avenir pour le réaliser convenablement.

Panneau avec écrit 'Psychic
    Vision, present, past, future. Tarots Cards

Je parle ici de ce qui est dans les mains des développeur·ses, il arrive aussi de devoir réaliser des fonctionnalités au cas où mais c'est une autre histoire…

L'obsession de la généricité ?

L'une des formes les plus courantes (celle abordée dans le tweet cité plus haut) du au cas où est sans doute l'obsession de la réutilisabilité et de la généricité des développeur·ses. Je ne sais pas d'où vient cette obsession, mais si vous pratiquez les revues de code, vous avez forcément déjà subi (voire écrit 😜) un commentaire du type cette approche rend le code pas très réutilisable ou en faisant ça, on pourrait rendre ce truc générique sur l'ajout d'une nouvelle fonctionnalité. Dans ce genre de cas je ne cherche même pas à débattre de la réutilisabilité ou de la généricité, je fais simplement observer qu'effectivement le changement vise à résoudre un problème pas à proposer une solution générique et que, tant que le besoin générique n'existe pas, essayer d'y répondre n'est qu'une perte de temps et un nid à bugs par la complexité que cela implique.

D'ailleurs le découpage en composants, modules, services, fonctions… ne vise pas à préparer une éventuelle réutilisation (même si à l'occasion, cela peut se produire) mais bien à partager les responsabilités et à donner autant que possible du sens à cet amas d'instructions pour que d'autres humain·es puissent en comprendre quelque chose. La réutilisation peut éventuellement venir ensuite, après du refactoring tout en gardant à l'esprit qu'il vaut souvent mieux un composant dupliqué qu'une dépendance à un composant générique par essence complexe. J'ai lu quelque part (mais j'ai perdu la source…) qu'il faut au moins 3 utilisations similaires pour justifier la création d'un composant réutilisable, j'aime beaucoup cette suggestion !

L'optimisation prématurée

Quel·le développeur·se n'a pas déjà entendu parler de premature optimization ? Si ce n'était pas le cas, voila qui est fait 😋 La citation complète (de Donald Knuth) dont est issue cette formule est la suivante :

We should forget about small efficiencies, say about 97% of the time: premature optimization is the root of all evil. Yet we should not pass up our opportunities in that critical 3%.

Ces deux phrases sous-entendent pas mal de choses mais par définition optimiser prématurément c'est optimiser au cas où, avant de savoir si vraiment c'est nécessaire. Et, comme dans l'obsession de la généricité, c'est non seulement une perte de temps mais également un poids en terme de maintenance et d'évolutivité. N'est il pas plus judicieux d'utiliser le temps de vaine optimisation à améliorer le design, la qualité… du projet ?

Tests, qualité,… du au cas où déguisé ?

J'ai parfois entendu qu'écrire des tests automatisés, essayer d'architecturer son code et d'une manière générale prendre le temps d'améliorer la qualité était une façon de faire du au cas où. C'est parfois vrai si on considère que la vie du logiciel s'arrête quasi juste après l'avoir écrit comme c'est le cas dans l'écriture d'un prototype ou d'un quelconque script one shot. Mais dans tous les autres cas, l'effort de qualité répond à la certitude de devoir maintenir voire d'avoir à faire évoluer le code. On est loin d'une spéculation.

Mieux encore, une base de code qualité peut être un remède ou au moins un atténuateur de décisions hâtives. En effet, en sachant le code facile à faire évoluer car bien architecturé, on est moins de tenter de prendre des décisions au cas où, on sait que remettre la décision à plus tard sera quasi sans conséquence autre qu'un choix sans doute plus avisé 😋.


D'une manière générale, faire du code au cas où, c'est prendre une décision avec une vision biaisée du problème qu'on croit résoudre. Et puis en principe, le code n'est pas écrit dans le marbre, alors autant en profiter pour ne pas répondre à des questions qui ne se posent pas (encore), se laisser le temps de la réflexion et plutôt se concentrer sur d'autres aspects qui eux serviront plus tard, chaque chose en son temps.